Dites-moi quel travailleur vous étiez, je vous dirai quel retraité vous serez !
La retraite est (trop) souvent présentée comme l’opposé du travail. Cette image désuète de la « retraite repos » qui s’oppose à l’adjectif « actif » du monde du travail ne correspond plus à la réalité surtout depuis l’arrivée à la retraite des baby boomers. Croire que la manière dont on organise ou organisera sa retraite sera nécessairement en rupture avec sa propre organisation au travail est utopique. Cet article dresse plusieurs profils de retraités et démontre que la manière dont est vécue la fin de carrière et la transition vers la retraite influence l’organisation du temps à la retraite.
Mélissa Petit, sociologue française (1), a établi 4 profils de retraités. Ces profils sont basés sur la manière d’organiser son temps, ses activités à la retraite. C’est ce que les sociologues appellent les temps sociaux.
Ces temps sociaux se structurent, s’organisent de manières différentes d’un individu à l’autre. Melissa Petit distingue deux dimensions qui influencent les temps sociaux : la dimension autonomie – hétéronomie et la dimension unicité – pluralité.
Autonomie- hétéronomie
Cette dimension détermine comment les individus organisent leur temps. Ils peuvent être autonomes mais aussi se voir imposer leur agenda (de manière hétéronome) par des impératifs « externes » et donc le collectif, l’entourage.
Unicité - pluralité
A la retraite, l’individu a le choix entre se concentrer sur une activité en particulier ou opter pour une diversité.
En croisant les deux dimensions, 4 profils se dégagent.
Ces 4 profils ne sont évidemment pas exclusifs, certaines personnes peuvent présenter les caractéristiques de 2 profils. On peut également observer que certains retraités évoluent d’un certain profil vers un autre.
L’hédoniste
L’hédoniste recherche l’épanouissement, le plaisir, l’enrichissement personnel. Il recherche avant tout l’harmonie en évitant de s’imposer une structure temporelle rigide, l’hédoniste se réserve d’ailleurs une latitude de temps libre qu’il comble selon les opportunités du moment.
L’hédoniste considère la retraite comme le moment de concrétiser des projets mis en veilleuse à cause du manque de temps dans sa vie professionnelle.
Il s’engage dans le bénévolat ou dans des activités rémunérées mais tout en restant maître de son temps et de ses choix. Il n’hésite d’ailleurs pas à changer d’activité s’il n’y trouve plus de plaisir.
L’hédoniste ne s’investit pas tête baissée dans les relations avec les ascendants et descendants. Il n’hésite pas à se faire épauler par des professionnels dans le cas par exemple de la prise en charge d’un proche en perte d’autonomie.
Son réseau social n’est pas très étendu et était principalement professionnel.
Enfin, l’hédoniste repousse les clichés sur les retraités, et a tendance à rechercher des relations inter générationnelles.
Le mono-polaire
Il remplace l’activité pivot « travail » par une autre activité pivot dans le cadre de la retraite. Cette activité pivot prend l’ascendant sur les autres. Par exemple s’il s’investit à fond dans le bénévolat ou le travail, ce sera au détriment de la sphère familiale. Il recherche une activité structurée valorisante et stimulante. Cette activité a les mêmes caractéristiques en matière de durée et de structuration que le travail. Le mono polaire est en général un néo bénévole. Il recherche dans le bénévolat un poste à responsabilité. S’il se lance dans une activité rémunérée, c’est par exemple l’ex-cadre qui se lance comme consultant à la retraite. Le mono polaire vit la » retraite reproduction », il compense la perte de son identité professionnelle par un investissement dans une activité pivot qui lui donne une certaine identité sociale.
Si l’activité pivot concerne la sphère familiale, le mono-polaire est le point d’appui du système familial. Il s’investit par exemple dans le soutien d’un proche en perte d’autonomie.
Son réseau social n’est pas étendu, il a peu de temps pour lui, ses temps libres sont relégués aux week-ends.
Le mono-polaire refuse les clichés de la retraite consommation de loisirs.
L’équilibré
L’équilibré ne conçoit pas d’avoir un seul type d’activité. Il ne met pas tous ses œufs dans le même panier. La retraite est un mode de vie choisi et diversifié. Il fuit les pressions psychologiques et temporelles. L’équilibré s’adonne à des occupations dans la sphère publique et privée. Si ses activités ne correspondent plus à ses attentes, il n’hésite pas à changer. Il apprécie avoir des plages temporelles libres. Il refuse les structures trop rigides et contraignantes ; accepter des responsabilités importantes reviendrait à perdre de l’autonomie.
L’équilibré gère au mieux les relations avec sa sphère familiale. Ici également, il évite de s’engager dans des tâches qui lui feraient perdre de l’autonomie.
Son réseau social est assez varié à l’instar de ses différents centres d’intérêt. L’équilibré accepte le statut de retraité. Il vit dans le présent, hors nostalgie du passé.
L’overbooké.
Il multiplie les temporalités sociales et n’est pas maître de son agenda. Il vit une crise à la retraite : la peur de l’agenda vide. C’est la raison pour laquelle il accepte toutes les propositions d’activités jusqu’à la saturation. Les activités sont donc multiples mais occupationnelles. Son rythme temporel est dicté par l’extérieur, même s’il tient un discours politiquement correct en tentant de faire valoir son autonomie. Sa transition est mal assumée, et il tente de le cacher par l’hyperactivité.
Son engagement familial peut être vécu comme un fardeau. Le réseau social de l’overbooké n’est pas spécialement étoffé, puisqu’il partage son temps entre diverses activités sans prendre la peine d’enrichir ses relations. Enfin, l’overbooké nie le statut de retraité et de personne vieillissante.
L’organisation de son temps au travail influence la manière d’organiser sa retraite
Les personnes qui ont cloisonné le temps du travail et le hors-travail afin d’avoir des activités passent plus facilement le cap de la retraite
Pour les personnes chez qui le travail domine tous les temps sociaux, week-ends, soirées, l’identité est fortement liée au travail, ce dernier apporte un statut social, un réseau social, etc…. A la retraite, ils ne considèrent pas ou peu acceptable d’avoir des temps morts. Ils doivent retrouver des cadres temporels identiques au travail mais surtout apportant une identité sociale compensant celle perdue avec l’activité professionnelle.
La transition « travail-retraite » impacte la manière dont sera vécue la retraite
L’anticipation du passage à la retraite permet de se distancer du travail, il s’agit de la désocialisation professionnelle anticipée. Il est important de pouvoir se projeter dans le futur, d’avoir un projet, de viser l’avenir et de se voir acteur de celui-ci. C’est d’autant plus « facile » pour les individus qui ont été autonomes dans leur gestion du temps.
En l’absence de pouvoir anticiper une désocialisation professionnelle, ils vivent une crise, dans le cadre de la retraite « couperet ». La crise peut être vécue comme une perte identitaire mais aussi comme la peur d’un espace temporel vide.
Les premiers avaient une identité professionnelle forte qu’ils vont essayer de retrouver en s’investissant dans une activité qui a pour objectif de redonner un statut social. Les autres vont remplir leur emploi du temps afin de compenser le vide temporel du travail.
Quels profils de retraités pour quels types d’organisations au travail et transition travail retraite ?
Les personnes qui avaient cloisonné leurs temps sociaux privés du temps professionnel se tournent vers le profil d’hédoniste ou équilibré. Les premiers consacrent tout le temps pour eux, les deuxièmes diversifient leurs temporalités sociales. Les retraités ont pu avoir une sortie anticipée du marché du travail, ce sont leurs mécanismes temporels mis sur pied durant la vie professionnelle qui vont primer dans l’organisation temporelle à la retraite.
Les retraités qui avaient un travail indexant toutes les autres temporalités sociales et qui n’ont pas choisi leur départ peuvent se tourner vers un profil mono-polaire ou overbooké. Si la perte identitaire est forte par rapport au travail, il va s’investir dans une seule activité, il est mono-polaire. Si c’est la peur du vide temporel, le retraité va accepter toutes les activités et subir les décisions, ce sont les overbookés
Pierre Degand
Sequoia Ways
(1) Les retraités : cette richesse pour la France. L’Harmattan 2016.